Le vote homosexuel existe, et il penche fortement à gauche, même si cette catégorie d’électeurs est tentée, dans les mêmes proportions que le reste des Français, par le Front national. L’analyse publiée par le Cevipof (Centre d’étude de la vie politique française), mercredi 18 janvier, ne manquera pas d’être examinée à la loupe dans les états-majors politiques. Car, à moins de cent jours du premier tour de l’élection présidentielle, le vote homosexuel est courtisé par tous les camps.
 
 
François Hollande a rappelé, dimanche 22 janvier au Bourget, son engagement en faveur de l’ouverture du mariage aux homosexuels et à l’homoparentalité. Quant à Nicolas Sarkozy, il semble entretenir à dessein le flou sur ses intentions. François Bayrou est favorable à une union civile comportant les mêmes droits et les mêmes devoirs que le mariage, ainsi qu’à l’adoption par des couples homosexuels.
 
 
Il faut dire que cette catégorie de la population est loin d’être négligeable numériquement. Selon l’Institut de sondage Ifop, qui a réalisé l’enquête pour le compte du Cevipof, les homosexuels et bisexuels représenteraient environ 6,5% de la population âgée de 18 ans et plus. "Leur poids électoral est supérieur à celui de la population catholique pratiquante", relève François Kraus, de l’IFOP.
 
Premier enseignement de l’étude, la gauche part avec beaucoup d’avance dans cet électorat. La moitié des personnes se définissant comme homo- ou bisexuelles affirment leur proximité avec un parti de gauche, contre 37 % de l’ensemble des Français. Seuls 15 % se disent proches de la droite parlementaire. Au premier tour de l’élection présidentielle, 49,5 % des sondés affirment qu’ils voteront pour un candidat de gauche, 9 % pour le candidat du Modem, 22,5 % pour un candidat de droite et 19,5 % pour Marine Le Pen. En outre, ces électeurs sont plus sûrs de leur choix, et plus constants que les autres.
 
 
Cette préférence pour la gauche ne surprend pas : les droits des homosexuels ont surtout progressé sous des gouvernements dirigés par des socialistes (dépénalisation définitive de l’homosexualité en 1982, retrait de la liste des maladies mentales en 1983, création du pacs en 1999). Plus surprenant est l’attrait pour le Front National, peu enclin au progressisme en matière de mœurs.
 
"Les homosexuels ne forment pas un électorat monolithique dont les choix électoraux seraient exclusivement déterminés par leur orientation sexuelle", relève le Cevipof. "C’est la preuve flagrante que l’intégration complète des homosexuels dans la société française touche à son but, renchérit Hussein Bourgi, président du collectif contre l’homophobie et militant socialiste. Ce sont des Français moyens comme les autres, avec les mêmes préoccupations." Autre explication: un sentiment d’insécurité vivement ressenti. "Certains se laissent séduire par Marine Le Pen, car ils subissent l’homophobie au quotidien et sont davantage victimes d’agressions que la moyenne", analyse Stéphane Corbin, porte-parole de la fédération LGBT (Lesbiennes gays bi et trans).
 
La présidente du FN s’efforce d’ailleurs de capitaliser sur ce sentiment. Marine Le Pen s’était émue, en décembre2010 à Lyon, du sort des homosexuels vivant dans les quartiers, victimes des "lois religieuses qui se substituent aux lois de la République". Autre signe de relative ouverture, l’abrogation du pacs ne figure pas dans le programme de la candidate. Mais le Front national reste très défavorable au mariage entre personnes de même sexe. "Et pourquoi pas autoriser la polygamie!", avait ainsi lancé MmeLe Pen en juin2011. Pour M.Bourgi, les associations de défense des droits des homosexuels "font sans doute trop peu de pédagogie". "Le rejet de l’homosexualité a toujours fait partie du discours FN, à nous de le rappeler", estime ce militant.
 
Selon le Cevipof, la théorie de la "droitisation" du milieu gay, défendue notamment par Didier Lestrade, fondateur d’Act Up, dans un essai à paraître début février (Pourquoi les gays sont passés à droite, Seuil), est en partie infirmée par ces résultats. La faible adhésion à la droite parlementaire reste stable depuis 2007. L’extrême droite progresse, mais, alors que le vote frontiste était supérieur à celui des hétérosexuels en 2007, il est aujourd’hui comparable à celui du reste de la population.
Cependant, à mesure que le fait d’être homosexuel se banalise, la liberté de parole progresse. "Dire qu’on est gay et de droite devient plus facile, analyse M.Corbin. De plus en plus d’hommes politiques de droite font leur coming out. Les gens sont décomplexés."