L’affaire avait mal commencé, entre préjugés, ignorance, confusion et mauvais travail parlementaire. Elle se conclut par une véritable pantalonnade !
  •  Des amendements médiocres et dangereux…
 
À deux exceptions près (dont un sur le droit d’asile et l’amendement n° 130, faisant du respect de l’identité de chaque Français un droit), tous les amendements présentés par les sénateurs ont été rejetés à la demande du gouvernement. Exit les espoirs de quelques militants – trop naïfs, ou trop proches du gouvernement comme les dirigeants de l’Inter-LGBT – qui n’avaient pas tout de suite compris que ces amendements, en l’état, auraient continué à livrer les personnes transgenres à l’arbitraire des juges et aux lenteurs de la justice française.
 
Refusant de travailler en amont avec les responsables associatifs, les experts et les rares juristes qui maîtrisent les textes de référence internationaux (Principes de Jogjakarta, textes du commissaire européen aux droits humains, résolution 1728-2010 du Conseil de l’Europe, loi argentine de 2012), les sénateurs PS, PCF, EELV ont raté leur examen d’entrée sur les questions de genre et d’état civil. Un tel amateurisme, mâtiné de préjugés parfois proche du moralisme “catho tradi” (nous retenons particulièrement la sénatrice PS Maryvonne Blandin, évoquant notre « problème douloureux » au lieu de défendre nos droits !) montre que les élus de gauche présents au parlement ont encore beaucoup à faire, sur les questions LGBT et transgenre, pour se hisser au niveau des élus européens ou argentins !
 
  • Un gouvernement qui abandonne ses promesses de campagne
 
Cette fois, le gouvernement ne peut pas invoquer la « volonté du pays d’avoir du calme », selon la formule honteuse d’une responsable associative proche du pouvoir… En effet, la droite, totalement ignorante des sujets évoqués, a été quasi absente de ce débat ! Les intégristes cathos-fachos aussi. C’est bien la gauche qui a eu peur de son ombre, tétanisée à l’idée que la moindre avancée sociétale ne déplaise à ceux qui, y compris dans ses propres rangs, ont encore des préjugés à l’égard des personnes transgenres.
 
 
Capitulant une fois de plus sur des valeurs essentielles, comme il l’a déjà fait sur le droit de la famille et l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, le gouvernement renvoie le changement d’état civil à 2014. Après les élections ? Devons-nous lui faire confiance ? Poser la question, c’est y répondre !
 
 
Agir ensemble pour faire gagner l’égalité des droits !
La stratégie du gouvernement est-elle de ne rien faire, laissant aux futures directives européennes le soin de faire entrer à reculons dans le droit français les textes de liberté et d’intégration sociale que les personnes transgenres attendent sous la gauche comme elles les ont attendus en vain sous la droite ? Ce serait d’un redoutable cynisme pour les suicidés du silence et les jeunes prostituées de survie transgenres, ces sans papiers français, qui vont continuer à s’accumuler.
 
 
Seul un lobbying actif et une mobilisation prolongée permettront de faire pression sur le gouvernement et le Président Hollande. Pour que les personnes transgenres deviennent en France, comme elles le sont déjà en Argentine, des citoyens et des citoyennes à part entière devant la loi !
 
Les amendements EELV, PCF, PS et UDI déposés au Sénat sont inacceptables en l’état.
NON à la résistible ascension de la judiciarisation et au paradoxal retour caché de la médicalisation dans la loi.  
 
A l’occasion du projet de loi pour l’Égalité entre les femmes et les hommes, débattu en première lecture au Sénat les 16 et 17 septembre, des sénatrices et sénateurs EELV, PCF, PS et UDI ont déposé des amendements concernant l’identité de genre et le changement d’état civil des personnes transgenres.
 
Cette initiative est urgente puisqu’elle s’appuie, entre autres, sur les revendications que la FÉDÉRATION LGBT porte, visant à faciliter la vie des personnes transgenres au quotidien et faire respecter leur droit à une vie privée protégée, qui aujourd’hui leur est refusée par l’Etat lui-même.
 
La FÉDÉRATION LGBT n’a eu de cesse jusqu’ici de rappeler la nécessité que la France honore son propre vote en faveur de la résolution 1728 du Conseil de l’Europe en 2010. Résolution appliquée par l’Argentine, pays non européen, par le vote d’une loi 30 novembre 2011 qui reconnaît pleinement l’identité de genre et ne soumet plus le changement d’état civil des personnes transgenres à une quelconque condition médicale.
 
Dans son avis du 27 juin dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a préconisé la substitution du critère de l’identité de genre à celui de l’identité sexuelle dans notre droit positif et la simplification de la procédure de changement de la mention du sexe à l’état civil. Tout en soutenant une démédicalisation complète, c’est à dire la fin des stérilisations forcées, la CNCDH maintient une judiciarisation partielle avec l’homologation devant un juge.
 
En réponse à cet avis, des dizaines d’associations, dont la FÉDÉRATION LGBT et l’ANT, ont signé un communiqué commun le 3 août dernier, rappelant que « la décision de changement d’état civil des personnes trans ne doit pas être compromise par une quelconque autorité médicale, psychiatrique ou judiciaire susceptible de contester la légitimité de [la] demande [des personnes transgenres]. »
 
Aussi, la FÉDÉRATION LGBT, salue l’amendement n° 130 des sénatrices EELV (1) substituant le critère de l’identité de genre à celui de l’identité sexuelle dans les textes prohibant la discrimination, dans les codes pénal, du travail, du sport et dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. De même, nous saluons l’amendement n° 136 du groupe communiste (2) visant à ajouter les critères de genre et d’orientation sexuelle à la qualité de réfugié de toute personne persécutée. Toutefois, nous recommandons la mention de l’identité de genre pour être cohérents.
 
En revanche, nous ne pouvons accepter en l’état les autres amendements déposés concernant le changement de la mention du sexe sur l’état civil et encore moins en féliciter leurs auteur.e.s.
Les amendements médicalisants et précarisants du PCF et de l’UDI sont largement en deçà de l’avis de la CNCDH, et ceux de EELV et du PS introduisent une judiciarisation partielle, mais avec une telle imprécision que la médicalisation reviendra à grands pas dans le quotidien des procédures.
 
L’amendement n° 80 de Chantal Jouanno, sénatrice UDI, est pathologisant, mentionnant encore « le trouble de l’identité de genre », « la dysphorie de genre », « le transsexualisme ». Conséquence, l’amendement subordonne l’accès de la procédure à la fourniture « d’un ou de plusieurs rapports médicaux qui attesteront de la réalité du trouble d’identité de genre (sic) » et au contrôle du juge aux affaires familiales.
 
L’amendement n° 154 du groupe communiste introduit une double procédure, en référé et au fond, contre l’avis de la CNCDH qui l’avait écarté. En référé, « la requête est motivée par une attestation d’un médecin » et la fourniture de témoignages attestant de la situation de vie du ou de la requérante depuis 5 ans (3 ans pour une autre procédure). Point dangereusement précarisant pour les personnes transgenres obligées de vivre pendant ce délai un perpétuel outing social.
Le Collectif Fièr-e-s et Révolutionnaires, qui avait invité La FÉDÉRATION LGBT a une table ronde dimanche 15 septembre dans le cadre de la Fête de l’Humanité, a annoncé le retrait de cet amendement pour réécriture. Nous en prenons acte et attendons la nouvelle version.
 
L’amendement n° 92 du groupe socialiste (3) vise à appliquer l’avis de la CNCDH par le retrait de toutes conditions médicales, avec dépôt de la demande en mairie, puis l’homologation d’un juge qui pourrait seulement fonder son refus sur « la fraude manifeste ou de l’incapacité de la personne de manifester sa volonté. » Toutefois, le manque de précision de l’expression « pour les personnes engagées dans un processus de transition » obligera les tribunaux à interprétation. Laquelle inévitablement passera de nouveau par la médicalisation. De plus, cet amendement, qui a entendu la demande de nos associations, pour le dépôt de la demande en mairie, ne précise nullement le délai imparti à l’officier d’état civil pour transmission au juge pour homologation.
 
L’amendement n° 169 du groupe écologiste participe du même constat du retour déguisé de la médicalisation car si l’homologation par un juge est prévue, « l’intérêt légitime » qu’il devra constater réintroduira toute la médicalisation, avec son cortège humiliant d’obligation de traitements, de diagnostic différentiel, d’obligation de dysphorie de genre et donc d’irréversibilité et de stérilisation forcée.
 
Il n’y aurait rien de pire que de vouloir éradiquer toute médicalisation dans le changement de la mention du sexe de l’état civil des personnes transgenres et paradoxalement la réintroduire en la gravant dans la loi. Tout l’enjeu est bien de dépasser les blocages de la majorité actuelle pour une démédicalisation et déjudiciarisation complètes, sans concession.
 
La FÉDÉRATION LGBT, prête à reconnaître la bonne intention initiale de leurs auteur.e.s, appelle solennellement tous les groupes concernés à réécrire leurs amendements avec des efforts conséquents de préc
isions
. S’ils ne doivent pas être en deçà de l’avis de la CNCDH, ces amendements doivent aussi être plus ambitieux. Attendre du Conseil d’Etat qu’il fixe après vote les modalités administratives de l’homologation c’est prendre le risque de graves déconvenues potentielles. C’est au législateur d’écrire la loi et d’en dessiner les contours courageux et précis au bénéfice des personnes transgenres. Pour cela nous nous tenons à leur disposition.
 
Les sénatrices du groupe socialiste défendent leur amendement, notamment l’homologation par un juge dont nous ne voulons pas, par le fait que « la mention du sexe demeure, dans notre droit un élément essentiel de l’identification des personnes, et que l’état civil revêt une forte importance symbolique dans la tradition républicaine française. » Cette expression est forcément le reflet de la pensée de la majorité actuelle, aidée en cela par ses conseillers.
 
Nous leur répondons que justement le poids du symbolique doit évoluer par un changement de mentalités au regard de l’urgence de la situation des personnes et que cela n’est pas impossible dans notre droit positif. L’utilisation juridique de catégories identificatoires peut tout à fait permettre le retrait du sexe. L’identification des personnes étant ouvert à bien d’autres critères.
 
La FÉDÉRATION LGBT attend que le gouvernement prenne toutes ses responsabilités en la matière et qu’il envoie un signal clair comme quoi il accepte des sénatrices et sénateurs de tous bords des amendements qui dépassent ses blocages actuels. Sinon à quand un projet de loin spécifique ? Certainement aux calendes grecques, comme l’exemple des reculades, des renoncements électoralistes du gouvernement et de l’exécutif, sur la filiation et la PMA, pendant les débats que le mariage pour tous et depuis sa promulgation.
 
Sinon, nous faudra-t-il en tirer toutes les conséquences vis-à-vis du gouvernement ? En effet, le calendrier électoral 2014 est particulièrement riche : élections municipales les 23 et 30 mars, européennes le 25 mai et sénatoriales en septembre… 
 
  • Stéphane Corbin,porte-parole de la Fédération LGBT contact@federation-lgbt.org 
 
(1) – Mmes ANGO ELA, BENBASSA, BOUCHOUX.
(2) – Mmes CUKIERMAN et ASSASSI, M. FAVIER.
(3) – Mmes BLONDIN et MEUNIER, M. GODEFROY, Mmes BOURZAI et LEPAGE, M. YUNG et Mme CAMPION.
La question du changement d’état civil des trans’ s’invite au Sénat. Philippe Reigné, chercheur en droit du genre et du sexe, décrypte les amendements déposés.
 
Saisie le 8 janvier 2013 par la garde des Sceaux et la ministre des Droits des femmes, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a rendu, le 27 juin 2013, un avis portant à la fois sur la substitution du critère de l’identité de genre à celui de l’identité sexuelle dans les textes prohibant la discrimination et sur la simplification de la procédure de changement de la mention du sexe à l’état civil. Son avis recommande, sur ce dernier point, la démédicalisation complète et une déjudiciarisation partielle de la procédure.
 
La Commission, après avoir déploré que «la transidentité [soit] encore trop communément rapportée à un fantasme, une maladie mentale, voire à une perversion», se prononce en faveur de la suppression des conditions médicales posées par les tribunaux à la modification de la mention du sexe sur les registres d’état civil. En effet, la Cour de cassation, dans le silence des textes, exige que soit rapportée la double preuve du syndrome transsexuel et de l’irréversibilité de la transformation de l’apparence, cette dernière expression étant un hypocrite synonyme de stérilité. L’avis du 27 juin 2013 relève que la première condition posée par la Cour de cassation «paraît valider une pathologisation de la transidentité» et que la seconde aboutit à de fréquentes expertises judiciaires et conduit souvent les personnes transidentitaires à recourir à des opérations chirurgicales non souhaitées. La Commission suggère une procédure en deux temps, la demande prenant la forme d’une déclaration reçue par l’officier d’état civil en présence de deux témoins indépendants et ensuite homologuée par le juge.
 
DES AMENDEMENTS TRÈS IMPARFAITS
Cet avis a donné lieu, le 11 septembre 2013, au dépôt de quatre amendements au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, un cinquième, additionnel, traitant du changement de prénom (n°79). L’abondance, dit-on, ne nuit pas; force est cependant de constater qu’elle ne profite pas non plus, à tout le moins lorsqu’il s’agit de légiférer. La lecture des amendements déposés montre que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme n’a été que très imparfaitement entendue. Aucun des quatre amendements ne parvient à une démédicalisation effective et complète de la procédure de changement d’état civil. Il suffit, pour s’en convaincre, de les passer en revue.
 
Deux amendements (nos 80 et 154) sont clairement empreints d’une logique médicale.
 
L’amendement n°80 (Mme Jouanno) confie les changements d’état civil « pour transsexualisme » aux « services de l’état civil des mairies » sous le contrôle du juge aux affaires familiales. Bien qu’il supprime toute condition tirée d’une réassignation sexuelle, de l’irréversibilité de traitements médicaux ou encore d’une stérilisation, cet amendement subordonne l’accès de la procédure à l’établissement « d’un ou de plusieurs rapports médicaux qui attesteront de la réalité du trouble d’identité de genre ». Cette exigence est pourtant formellement condamnée par l’avis du 27 juin 2013.
L’amendement n°154 (groupe communiste) est particulièrement complexe, puisqu’il prévoit à la fois une procédure de référé et une procédure au fond, alors que la dualité des procédures a expressément été écartée par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme en raison de sa lourdeur et du caractère inadapté du référé. Sont, de surcroît, exigées la preuve du transsexualisme, le cas échéant, par expertise judiciaire, et la démonstration de l’entrée dans un «parcours transidentitaire», défini comme un «processus» de transformation suivi en vue de «s’établir dans le sexe opposé à celui qui figure sur les mentions d’état civil». Il s’agit, de nouveau, de conditions incompatibles avec l’avis du 27 juin 2013. Insérer l’expression de «sexe opposé» dans un texte consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes laisse par ailleurs perplexe…
 
Les deux autres amendements (nos 92 et 169) sont rédigés de manière apparemment plus neutre.
L’amendement n°92 (Mmes Blondin et Meunier, M. Godefroy, Mmes Bourzai et Lepage, M. Yung et Mme Campion) reprend le principe de l’homologation judiciaire d’une déclaration recueillie par l’officier d’état civil. Le refus d’homologation peut seulement résulter de la fraude manifeste ou de l’incapacité de la personne de manifester sa volonté. Ces restrictions apportées aux pouvoirs du juge sont cependant inutiles, car la procédure est réservée aux « personnes engagées dans un processus de transition », sans autre précision. Les tribunaux devront donc préciser le sens de cette expression ; pour ce faire, ils n’auront guère d’autre choix que de recourir à des critères médicaux. Ainsi, l’accès aux traitements hormonaux supposant, en principe, l’établissement d’un diagnostic différentiel de dysphorie de genre, celui-ci deviendra inévitablement une condition préalable à toute déclaration de changement d’état civil. De même, l’engagement dans un « processus de transition » s’inscrivant nécessairement dans la durée, il pourra toujours être caractérisé par ses effets, notamment sur la fécondité. Ce sera le retour de l’irréversibilité, concept si commode pour désigner l’indicible. La démédicalisation de la procédure, prônée par l’avis du 27 juin 2013, aura alo
rs fait long feu.
 
L’amendement n°169 (groupe écologiste) suscite de semblables remarques ; le changement d’état civil, par déclaration homologuée par le juge, y nécessite la démonstration d’un intérêt légitime. Cette condition, empruntée à la procédure de changement de prénom, mais non définie, pourra être aisément médicalisée par les tribunaux ; le juge sera, en effet, porté à voir, dans la dysphorie de genre, l’intérêt légitime exigé par le texte.
 
La modification de la mention du sexe à l’état civil est fondée sur le droit au respect de la vie privée. L’exercice de ce droit fondamental ne peut être conditionné par des considérations médicales ni par des concepts aussi flous que le « processus de transition » ou l’ « intérêt légitime ». Il est encore temps de reprendre la plume…
 
Philippe Reigné, agrégé des facultés de droit, professeur du Conservatoire national des arts et métiers.